Comprendre et fiabiliser la marge : comment une mission ciblée a reconnecté gestion et comptabilité

Comprendre et fiabiliser la marge : comment une mission ciblée a reconnecté gestion et comptabilité

Témoignage de Sophie, Contrôleuse de gestion freelance

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai un parcours de 20 ans en contrôle de gestion, principalement dans le secteur de la distribution. J’ai occupé des fonctions de contrôle de gestion opérationnelle, aux achats, auprès du réseau et des services supports. Le retail est vraiment mon terrain de jeu : j’y connais bien les enjeux de marge, de pricing, d’assortiment et de pilotage de réseau.

Dans quel contexte l’entreprise t’a sollicitée ? Qu’est-ce qui inquiétait la direction financière ?
L’entreprise faisait face à un problème récurrent : la marge de gestion présentait en permanence des écarts avec la marge comptable. Si l’écart avait été stable et toujours dans le même sens, on aurait pu suspecter un flux manquant ou un élément surpondéré.
Mais ici, c’était tout l’inverse :

  • parfois la marge de gestion était proche de la marge comptable,
  • parfois très éloignée,
  • parfois au-dessus, parfois en dessous,
  • et les écarts ne touchaient pas toujours les mêmes points de vente, ni toujours dans le même sens.

En moyenne, l’enjeu représentait un point de marge, ce qui est énorme dans ce secteur. La direction financière était inquiète sur sa capacité à anticiper les résultats de l’exercice. Une incertitude d’un point de marge, c’est trop pour prendre des décisions sereinement au niveau de la direction générale.

Quels étaient les impacts concrets pour l’entreprise ?
Ils étaient triples :

  • Stratégiques : comment décider quand on n’est pas sûr de la base chiffrée sur laquelle on s’appuie ?
  • Relationnels : les points de vente avaient perdu confiance dans les chiffres, mais aussi dans la capacité de la direction financière à les expliquer.
  • RH et coûts de personnel : les primes étaient indexées sur les résultats magasins. L’instabilité de la marge compliquait l’anticipation des primes à payer, et côté terrain, certains avaient le sentiment que les calculs se faisaient “à la tête du magasin”.

Quel était ton périmètre d’intervention et sur quelle durée ?
Le périmètre couvrait l’ensemble du territoire national et l’ensemble de la société.
La mission a duré 6 mois, à raison de 2 jours par semaine. Elle a été lancée au moment où la direction financière a pris conscience que ses équipes internes n’avaient ni le temps ni la méthodologie adaptée pour traiter ce sujet en profondeur.

Comment l’écart entre marge de gestion et marge comptable se manifestait-il au quotidien ?
Les opérationnels disposaient de tableaux de bord hebdomadaires basés sur la marge de gestion, construite à partir des prix de revient enregistrés dans l’ERP.
Lors des clôtures, ils recevaient des informations issues de la comptabilité (achats et variation de stock), qui présentaient souvent des marges sensiblement différentes. Or ce sont ces chiffres comptables qui font foi. C’est cette dissonance, répétée dans le temps, qui alimentait l’incompréhension et la défiance.

Par quoi as-tu commencé pour “démêler” cet écart de marge ?
J’ai commencé par identifier les principaux gestes métiers et leur traduction dans les différents systèmes d’information.
Concrètement, j’ai :

  • cartographié les flux depuis le magasin jusqu’à l’écriture comptable,
  • qualifié chaque flux selon que l’information arrivait complètement ou partiellement à destination,
  • beaucoup travaillé avec l’équipe SI pour retracer chaque flux de bout en bout.

Ensuite, j’ai pris les écarts non expliqués qui subsistaient et je suis remontée dans les systèmes jusqu’à la source : les gestes métiers correspondants.

Quelles données as-tu analysées en priorité ?
Je suis partie des données de vente, que j’ai croisées avec :

  • les achats,
  • les stocks,
  • et la démarque.

Ce qui compte, ce n’est pas seulement l’image finale, mais surtout les flux et l’impact de chaque paramétrage ou geste métier. C’est là qu’on trouve les vraies explications.

Comment as-tu travaillé avec les équipes centrales et le terrain ?
J’ai travaillé en proximité immédiate avec les équipes SI et comptables, tout en étant en lien étroit avec :

  • le contrôle de gestion,
  • les achats,
  • la supply,
  • et le réseau, au plus près des gestes métiers.

Une fois les premières causes identifiées, j’ai sélectionné certains points de vente comme cas pilotes. J’ai vraiment plongé “au fond de la mine” pour aller chercher des explications supplémentaires. L’enjeu ensuite, c’est de ressortir de la mine pour généraliser les enseignements à l’ensemble du réseau, les quantifier et compléter la cartographie globale des causes.

Quelles ont été les principales causes d’écarts identifiées ?
Les analyses ont mis en évidence plusieurs familles de causes :

  • la gestion des produits hors assortiment,
  • le prix de revient des produits à rotation très lente,
  • des problèmes de cut-off,
  • certaines manipulations de mouvements de stock (changement d’emplacement, par exemple) qui ne devaient pas impacter la marge… mais le faisaient.

Une partie de la valeur de la mission a aussi été de quantifier des cas exceptionnels, ces fameux “hors normes” qui existent dans toutes les entreprises, mais restent souvent invisibles dans les reportings standards.

Qu’as-tu mis en place concrètement pour fiabiliser la marge ?
Plusieurs actions très opérationnelles ont été déployées :

  • des modifications de paramétrage dans les systèmes d’information,
  • la mise en place d’un suivi plus précis du cut-off, avec des reportings dédiés pour tracer les FNP en lien avec les réceptions de fin de mois,
  • l’outillage d’un suivi d’un bout à l’autre de la chaîne, du magasin jusqu’à la comptabilité, pour vérifier qu’aucune nouvelle cause d’écart n’apparaisse.

Quels livrables as-tu remis à la direction financière ?
J’ai remis notamment :

  • un outil de traçabilité de l’information entre la gestion et la comptabilité,
  • un outil de suivi de la cohérence achats / stocks, identifiant les écritures et références responsables des écarts entre marge de gestion et marge comptable,
  • une cartographie des causes d’écart, associée à un plan d’actions.

En utilisant de nouveaux outils, nous avons pu relier des informations issues de flux informatiques qui, jusque-là, ne “se parlaient” pas. Résultat : les reportings ont significativement évolué, en apportant des explications nouvelles, tant à la direction qu’aux opérationnels. Par exemple, nous avons pu mettre en lien et quantifier la notion de niveau tarifaire avec celle de taille d’assortiment.

Si tu devais résumer la mission en une phrase côté client ?
Investir ponctuellement sur une compétence ciblée pour faire avancer l’entreprise dans son ensemble et renforcer les liens entre opérationnels et financiers.

Qu’est-ce qui t’a semblé le plus sensible dans ce type de mission ?
Le point le plus sensible, c’est de faire accepter la mission sans que personne ne se sente mis en cause. L’objectif n’est pas de désigner un coupable, mais de résoudre un problème. Il faut gagner la confiance de chaque maillon de la chaîne, montrer qu’on est là pour comprendre, sécuriser et améliorer.

Comment as-tu embarqué les parties prenantes, notamment les magasins ?
Les magasins ont été les derniers à être directement embarqués. En revanche, les animateurs de réseau ont joué un rôle clé. Ils m’ont aidée à comprendre les particularités de certains points de vente, ce qui expliquait des comportements de données qui semblaient, au départ, étonnants.

Quels sont, avec le recul, les 2 ou 3 facteurs clés de succès pour traiter ce type d’écarts ?
Pour moi :

  1. La confiance des parties prenantes : elle permet d’ouvrir les sujets sans tabou et d’identifier rapidement les premiers risques.
  2. La méthode, choisie et assumée : s’y tenir de manière stricte et systématique, même quand c’est tentant de sauter des étapes.
  3. L’aller-retour permanent entre la plongée dans le détail des datas et la remontée en surface : savoir descendre très profond, puis remonter pour synthétiser et garder la vision globale.

Qu’as-tu particulièrement apprécié dans cette mission ?
Le côté “exploration de terre inconnue” : découvrir de nouveaux axes d’amélioration pour l’entreprise, faire parler les données différemment, et amener à la direction financière des pistes de réflexion nouvelles. Et puis, contribuer à retisser la confiance entre les chiffres, ceux qui les produisent et ceux qui les vivent au quotidien dans les magasins.